L’Hôtel Guérin

L'Hôtel Guérin appartenait à une grande famille de moulineurs de soie dont la notoriété dépassait largement Saint-Chamond. Ils ont tenu des rôles importants dans la ville et ont contribué à son développement.

La famille Guérin

La famille Guérin est originaire d’Annonay, dans le haut Vivarais. Dans cette région influencée par la soierie lyonnaise, Dominique Guérin est le premier de la famille à travailler dans l’industrie de la soie en tant que moulinier. Toutefois, c’est son fils Dominique Guérin II qui inscrira véritablement la famille dans cette industrie tisserande.

Né vers 1651 à Annonay, il effectue son apprentissage de 1664 à 1668 chez le sieur Pierre Chamois, un moulinier en soie d’Annonay. Il s’installe ensuite à Saint-Chamond et possède des ateliers à Saint-Julien-Molin-Molette. En 1695 il est admis dans la confrérie de Notre-Dame de l’Assomption de la paroisse Saint-Pierre et Sainte-Barbe, qui réunit l’élite de la bourgeoisie saint-chamonaise. Trois ans plus tard, il est reçu comme bourgeois de Lyon. En 1699, désormais consul de Saint-Chamond, il est la personne idéale pour devenir en 1703, le recteur de l’hôpital général de la Charité de Lyon. Cette charge honorifique est très lourde pour ses titulaires : ces derniers sont en effet responsables sur leurs biens personnels du patrimoine des pauvres qu’ils doivent gérer à leurs risques. Cette charge va d’ailleurs ruiner en partie Dominique Guérin.

A sa mort en 1709, sa femme reprend le commerce et s’associe en 1716 avec son fils, Jean-Dominique Guérin (“Veuve Guérin et Fils”). Ce dernier s’emploie alors à reconstituer le patrimoine familial diminué par la charge de son père. Grâce à son travail, il décuple sa fortune qui s’élève en 1754 à 247 000 livres. A son tour, il occupe alors des charges honorifiques : de 1747 à 1750 il est recteur de l’hôpital de Saint-Chamond, puis, de 1750 à 1752, il est marguillier (membre d’un conseil d’église) de la paroisse Notre-Dame. Il meurt en 1754, laissant la direction de son commerce à sa femme. En 1759 son fils Joseph-Marie Guérin s’associe à son tour à sa mère.

En 1757, Joseph-Marie est nommé bourgeois de Lyon. En 1758 pour 20 000 livres, sa mère lui achète une charge honorifique ; il est désormais conseiller-notaire-secrétaire du roi en la cour du Parlement d’Aix-en-Provence. Ce titre lui confère la noblesse personnelle… et l’exemption d’impôts. Parallèlement à ses activités de soyeux, il développe avec sa mère les activités bancaires. Il occupe également d’autres charges telles que recteur de l’Hôtel-Dieu (comme son père avant lui), député du département de Rhône-et-Loire aux Etats généraux, et maire de Saint-Chamond de 1790 à 1791.

A la Révolution, face à la Terreur qui gagne peu à peu Lyon et sa région, il se réfugie chez son gendre Colomb de Gaste dans les montagnes du Forez. Ses biens sont alors confisqués, il les récupère en 1794. Par la suite, les descendants de la famille Guérin poursuivront l’épopée familiale en occupant dans la France du XIXème siècle d’importantes charges et dirigeront la maison “Veuve Guérin et Fils”. En 1931, la maison devient une société commandite afin de faire face à la situation économique et industrielle de l’époque. Elle ferme 12 mois plus tard, en 1932, pour devenir “Société de gestion financière”.

Architecture

Sur la gauche de l’hôtel au n°83, la petite maison appartenait en 1645 aux Palerne. Elle devient ensuite propriété de Jean Marie Montgirod. Au cours du XVIIIème siècle, la maison passe à la famille Guérin. Initialement composé de ces deux maisons, l’hôtel Guérin les réunit grâce à sa façade néo-classique aux volumes harmonisés. En 1837, l’alignement de la rue de la République souligne la réunion de ces deux hôtels en appliquant à nouveau les règles de l’architecture néo-classique (symétrie, appareillage en bossage, pilastres toscans).

Dans la cour intérieure, une fontaine en grès houiller datée du XVIème (ou XVIIèmesiècle) rappelle le luxe passé de l’hôtel. En outre, la présence d’une grille en fer forgé du XVIIIème témoigne encore de la séparation entre la cour bourgeoise et les espaces domestiques (écuries, lavoir, grange). Derrière la maison un vaste parc s’étendait jusqu’aux limites de la ville. Il pourvoyait aux besoins de la famille et de l’ensemble des domestiques.

Le moulinage de la soie à Saint-Chamond

Le moulinage est l’une des quatre étapes du travail de la soie : filature, moulinage, teinture, tissage.

Cette opération consiste à tordre le fil sur lui-même un certain nombre de fois. Cette torsion permet de rendre le fil plus résistant et de modifier son aspect. A la manière d’un lacet que l’on tord sur lui-même, le fil de soie devient plus lisse et plus régulier. Cette torsion se fait avec une machine appelée “moulin”. Ce dernier torsade et fait passer le fil d’une bobine à une autre.

Il existe cinq étapes dans le moulinage.

  • Le mouillage qui assouplit et lubrifie le grès de la soie pour qu’elle soit plus facile à travailler (immersion des flottes dans un bain d’eau tiède et de savon),
  • Le dévidage qui consiste à enrouler le fil d’une flotte sur une bobine horizontale, grâce au moulin.
  • Le doublage qui consiste à assemble plusieurs fils enroulés sur les bobines horizontales pour obtenir un nouveau fil plus épais,
  •  Le moulinage qui consiste à tordre le fil sur lui-même pour le renforcer,
  •  Avec la dernière étape, le flottage, on rassemble toute la soie sur des écheveaux avant de l’expédier… à la teinture !

L’industrie du moulinage est importée dans la région par l’italien Gayotti qui implante le premier moulin à soie dans le courant du XVIème siècle. Elle se développe alors rapidement à Saint-Chamond dans la première moitié du XVIIème siècle. On constate alors que presque  toutes les maisons de la Rue de la République étaient des fabriques de moulinage. Initialement, les moulins sont installés au rez-de-chaussée dans les jardins et mis en marche par des chevaux : “Une fabrique peut contenir jusqu’à trois moulins, des écuries, pour les deux chevaux qui tiraient le manège, une grange pour le foin”. Outre celles de la rue de la République, on constate aussi la présence de nombreuses fabriques le long du Janon et du Gier à travers la ville.

D’ailleurs avec le temps, on privilégie la force du Gier pour faire mouvoir les machines. Cette industrie prospère jusqu’à la guerre franco-prussienne de 1870. Elle décline ensuite et sera remplacée sur la ville par l’industrie des tresses et lacets, activité beaucoup plus lucrative.